Avant sa participation au Food Summit, le 7 février prochain, BEAST a pu s’entretenir avec le Ministre Fernand Etgen, le Ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs afin d’aborder promotion des produits locaux et la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui font l’actualité au Grand-Duché depuis maintenant quelques mois.
Monsieur le Ministre, la pétition n°668 visant à favoriser les produits de nos terroirs dans la restauration collective a été une des plus signées de l’année à la Chambre des Députés, sans surprise ?
Pas vraiment, non ! Si la pétition a été déposée en mai 2016, le programme gouvernemental prévoyait déjà en 2014 dans le chapitre consacré à mon ministère que le Gouvernement promouvra l’utilisation des produits du terroir de qualité et des produits biologiques dans les lieux de restauration collectifs qui fonctionnent sous tutelle étatique. Aujourd’hui, les consommateurs se basent sur des critères durables, sur la courte distance, et non plus seulement sur l’offre économique.
Ayant reconnu la situation précaire du secteur agricole, j’ai réitéré ma volonté d’élaborer – entre autres – un modèle de cahier des charges qui permettra aux cuisines collectives visées (hôpitaux, maisons de retraite, écoles fondamentales, lycées, maisons de relais, crèches…) de favoriser les produits régionaux pour la préparation des repas dans ces établissements. Dès la fin de la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne fin 2015, nous avons entamé des discussions avec les différents intervenants de la filière d’approvisionnement des produits alimentaires utilisés dans ces cuisines en vue d’analyser la situation, d’évaluer la faisabilité et d’acter les moyens de mise en oeuvre nécessaires pour arriver à une utilisation systématique des produits régionaux dans toutes les cuisines collectives du pays. Il s’en suit un avant-projet de loi dont les grandes lignes seront présentées le 30 septembre 2016 aux groupements agricoles luxembourgeois, puis le texte sera discuté dans les semaines à venir avec les ministères et opérateurs de cuisines collectives concernés, avant d’être présenté à la Commission des pétitions de la Chambre des Députés. Ce projet n’aboutira que lorsque tous les acteurs seront à bord. Nous devons dès maintenant entamer une discussion profonde avec les cultivateurs, les transformateurs, les distributeurs, les écoles, etc.
Le succès de la pétition n°668 m’a conforté dans ma volonté et dans ma démarche de légiférer en la matière. De prime abord, l’idée de cette pétition semble être facilement réalisable. Or, le sujet est beaucoup plus complexe qu’il ne semble. Beaucoup de facteurs jouent un rôle déterminant, tels que l’offre en quantités suffisantes en produits primaires, la logistique de livraison et de rassemblement de petites quantités disponibles, un prix équitable à travers toute la filière, etc.
Parmi les arguments avancés, allant de la traçabilité à la qualité des produits, de leur empreinte carbone à l’impact sur l’emploi, quel facteur est selon vous le plus sensible ?
Le facteur le plus sensible à mes yeux est d’arriver à pouvoir assurer à tous les acteurs de la chaîne alimentaire un prix équitable. Savez-vous que le consommateur ne dépense qu’environ 10% de son revenu net pour se nourrir ? Et que le producteur de lait reçoit moins de 30 cent pour un litre de lait, ce qui équivaut au prix qu’il recevait il y a trente ans déjà ? Il va de soi que les points mentionnés doivent être respectés tout au long de la filière, de la fourche à la fourchette. Or, garantir le respect de la sécurité alimentaire et de la durabilité a un certain prix et même si le consommateur commence à en devenir conscient, il me semble qu’il n’est pas toujours prêt à le payer. Il est important que le Gouvernement commence à accroître ses efforts de sensibilisation du grand public à une consommation responsable et mieux informée.
C’est dans cette optique que mes services préparent actuellement un portail dédié à la consommation de produits alimentaires en mettant l’accent sur la production agricole et la sécurité alimentaire. Par ailleurs, je viens de mettre sur pied le magazine « GUDD ! » en collaboration avec le ministère de l’Environnement et le ministère de la Santé – un magazine qui sera distribué dans toutes les boîtes aux lettres – qui a pour vocation d’informer les consommateurs sur tous les aspects de la sécurité alimentaire et de l’environnement tout au long de la chaîne alimentaire. Nous devons guider les consommateurs dans une société de surconsommation et informer le grand public sur les défis d’une bonne nourriture.
Si le marché devait s’ouvrir davantage, il y aurait également des risques sanitaires majeurs, au vu des pratiques de certains pays en matière d’OGM, d’hormones, d’antibiotiques, voire d’irradiation des denrées… La protection du marché est-elle avant tout celle des consommateurs ?
Tous les produits vendus sur le marché communautaire doivent en principe répondre aux mêmes normes européennes relevant de la sécurité alimentaire, qu’ils proviennent d’un producteur européen ou d’un pays tiers. Par exemple la viande aux hormones est interdite en Europe, et elle le restera si TTIP voit le jour. Il en va de même pour bon nombre d’antibiotiques prohibés chez nous, qui sont pourtant autorisés dans différents pays hors UE.
Nous avons au niveau du Conseil des Ministres européens de l’agriculture, avec la Commission, une position unanime et très claire : ces normes ne seront pas à disposition dans le cadre d’un quelconque accord commercial.
Les importations alimentaires venant de pays où il y a moins de normes en matière de sécurité alimentaire et de protection de la nature peuvent poser problème. Il s’agit dès lors de maintenir un niveau élevé de contrôles. En Europe, nous avons un dispositif efficace et performant pour protéger les consommateurs, comme par exemple le système d’alerte rapide pour les denrées alimentaires et les aliments. Nous devons essayer d’avoir un dispositif de la qualité sécuritaire toujours croissant et l’UE doit être un trendsetter.
La grande distribution a un rôle clair à jouer pour favoriser les produits locaux, mais les enseignes fonctionnent beaucoup en fonction de leur pays d’origine…
Je pense qu’à la lumière de la libre concurrence et de la libre circulation des marchandises, la grande distribution est libre de son choix. In fine, c’est le consommateur qui décide ce qui se trouve dans les étalages des supermarchés, par son choix et par son opinion. D’où l’importance d’un consommateur mieux informé et responsable. Néanmoins, je ne cesse de sensibiliser la grande distribution à se tourner vers des produits agricoles régionaux, non seulement pour promouvoir une alimentation plus saine et qualitative, mais aussi pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, par des circuits-courts de production, de transformation et de commercialisation. Un autre aspect qui pourrait en bénéficier est la réduction du gaspillage alimentaire en favorisant l’économie circulaire. D’ailleurs de plus en plus de distributeurs internationaux présents sur le marché luxembourgeois ont étendu leur offre dans ce contexte précis. Le consommateur averti ne veut pas forcément des produits bios, mais ils souhaitent qu’ils soient régionaux.
Vous avez accordé votre soutien au prochain Luxembourg Food Summit en février 2017, comment redonner plus de pouvoir et un prix équitable aux agriculteurs et éleveurs luxembourgeois ?
J’espère que tous les acteurs des différents secteurs de l’alimentation s’y retrouveront pour mieux se fédérer et chercher des synergies en vue de développer un modèle d’agriculture et d’alimentation plus durable, sûr pour le consommateur et plus résiliant en cas de crises agricoles. Je pense que nous devons créer un vrai partenariat entre le producteur, la transformation, la distribution et le consommateur final. Pour cela nous avons besoin d’une approche intégrée tout au long des filières, basée sur la transparence des modes de production et de commercialisation : un rapprochement entre le producteur et le consommateur.
Comment imaginez-vous l’agriculture luxembourgeoise – au sens large – en 2030 ?
Je suis convaincu qu’en 2030, l’agriculture luxembourgeoise sera préparée à l’ouverture des marchés, mais moins avec la production de produits primaires de masse. Nous envisageons plutôt une agriculture de qualité, produisant de manière durable, en protégeant la biodiversité, nos ressources en eau et en valorisant le travail de nos agriculteurs.
A titre d’exemple je viens de finaliser un texte réglementaire qui prévoit des aides étatiques aux groupements de producteurs de produits agricoles qui participent à des systèmes de qualité et de certification. Les taux d’aide prévus varient non seulement en fonction du respect de critères de qualité mais aussi en fonction de critères du développement durable, du bien-être animal, de l’économie circulaire et finalement en fonction d’une répartition équitable des marges à travers de la chaîne alimentaire.
En 2030, il faudra peut-être moins parler d’«agriculture luxembourgeoise», mais plutôt de «modèle alimentaire luxembourgeois» parce nous aurons réussi à trouver des synergies rentables et innovantes ensemble avec tous les acteurs du domaine de l’alimentation, de la fourche à la fourchette.