« Mensonge », « Satanique », « Destruction », tels sont les qualificatifs que donnent les centaines de personnes réunies à l’Embassy Suites Hotel de Raleigh, en Californie, lorsqu’un journaliste de la BBC leur montre une petite balle de caoutchouc représentant la Terre. Les nombreux « flattards » participants à la Flat Earth International Conference 2017 ne sont pas tendres envers ceux qui pensent que la Terre est ronde, défenseurs de la pensée unique et soumis aux soi-disant complots. Unrassemblement unique au monde, organisé les 9 et 10 novembre 2017, qui illustre parfaitement notre société actuelle et ses dérives. Focus et analyse de la Flat Earth Society, avec la gravité qui s’impose.

 

La théorie de la Terre plate a cette particularité d’avoir un nom beaucoup plus simple et clair que la multitude de représentations qui en est faite et d’énormités qu’elle oppose à la science. Cette théorie stipule que la planète Terre est de forme discoïde, avec le Pôle Nord à son centre. L’Antarctique serait un mur de glace se situant aux extrémités du disque, le Soleil et la Lune orbitant, tel un mobile pour bébé, à seulement quelques milliers de kilomètres au-dessus de la Terre.

Les hypothèses modernes d’une planète plate se sont répandues au XIXème siècle, sous l’influence de l’écrivain Samuel Rowbotham, qui publia notamment un livre au titre sans équivoque : « Earth Not A Globe ». Elles se répandent pour la première fois dans l’éducation de masse dans la petite ville de Zion dans le Colorado, grâce à ou à cause de Wilbur Glenn Voliva. Evangéliste et platiste convaincu, il est également un excellent stratège et sauve sa ville de la banqueroute grâce à une politique industrielle et immobilière audacieuse. Ayant gagné la confiance des gens et une influence grandissante sur la ville, il installe ses propres règles, dont notamment l’apprentissage des préceptes de la Terre plate dans les écoles catholiques, mais également, de manière plus sectaire, qu’il existe un mensonge gouvernemental global autour du phénomène de globe terrestre afin de cacher aux honnêtes gens l’existence de Dieu.

C’est donc le début d’une des plus fameuses théories du complot, basée sur des préceptes religieux s’opposant à la science pure, accusée elle-même de « scientisme », c’est-à-dire de croire à des règles scientifiques comme on croit à une religion.

En 1956, afin de se détacher de l’emprise religieuse sur la théorie de la Terre plate, Samuel Shenton crée l’International Flat Earth Research Society.

L’homme n’hésite pas à intervenir auprès des populations les plus influençables, que ce soient dans les cercles étudiants ou encore auprès des plus jeunes. A son apogée, l’IFERS comptera plus de 3 500 membres avant de connaître un net déclin et de ne compter officiellement qu’entre 200 et 300 membres dans les années quatre-vingts.

 

Influence et méfiance

Alors pourquoi écrire un article sur un mouvement marginal qui semble, dans les chiffres, ne pas avoir un poids conséquent ? Car autant dans les chiffres officiels, les platistes ne semblent pas si nombreux, autant aujourd’hui, avec l’expansion du nombre d’informations sur les réseaux sociaux, le mouvement semble connaître un regain d’importance, au point de pouvoir organiser cette année et programmer en 2018 un forum international sur le phénomène.

Internet a permis cette extraordinaire liberté d’expression pour les individus de la planète. Une terre promise pour les adeptes de la théorie du complot, qu’elle concerne le 11 septembre ou l’assassinat de Kennedy. Il est possible aujourd’hui de trouver sur YouTube des dizaines de débats, en confrontation directe ou interposée, entre les deux camps. 106 000 personnes suivent aujourd’hui la page Facebook de la Flat Earth Society, qui apporte son soutien à toutes les initiatives prises pour prouver que notre bonne vieille planète bleue est plate… Comme Mike Hughes, ce Californien qui est convaincu que la Terre est plate. Selon lui, la Terre est un disque et elle est entourée d’un mur de glace pour retenir les océans. La NASA est sous le contrôle de francs-maçons qui défendent l’idée que la Terre est ronde, et Elon Musk fabrique de fausses fusées à partir de ballons dirigeables. Il compte bien le prouver. Ce chauffeur de limousines de 61 ans a déjà dépensé plus de 20 000 dollars dans la conception de fusées. En 2014 et 2017, l’homme avait tenté l’expérience mais échoua…

Lors de la diffusion de l’arrivée de Thomas Pesquet sur la Station Spatiale Internationale, le chat ouvert sur YouTube suscita un tel nombre de réactions sceptiques, arguant que l’opération s’effectuait dans un hangar, que l’astronaute se sentit obligé de tweeter en guise de réponse, un selfie dans l’espace : « Voilà pour les fans de la théorie du complot persuadés que l’on est dans un hangar sur Terre ».

La théorie du complot ne manque pas d’adeptes, mais également d’influenceurs, comme le basketteur Kyrie Irving ou le chanteur B.o.B et son morceau « Flatline ». Une tendance américano-centrée, qui entraine à chaque fois une sortie du célèbre astrophysicien Neil deGrasse Tyson, qui répliqua aux propos le visant dans le morceau de B.o.B lors d’une émission télé : « Tu peux croire en ce que tu veux dans une société libre. Mais si tu penses que la terre est plate et que tu as de l’influence sur d’autres, comme l’ont les rappeurs célèbres, alors être dans le faux signifie être dangereux pour la sécurité et le progrès de notre démocratie. Les explorations et découvertes nous ont sortis de l’ignorance et chaque génération tire profit de ce que l’autre a appris ».

Tyson s’attaque ici à une mission impossible face aux complotistes : argumenter. On se retrouve alors très vite face à des arguments irréfutables, arguant que les photos de la Nasa sont truquées, que les appareils GPS sont une supercherie et que la gravité n’est qu’une invention des puissants. Pourquoi ? Pourquoi pas. Pas de véritable réponse, si ce n’est un mépris total pour la physique. Il semblerait donc que la facilité d’accès à l’information ait engendré chez certains un esprit de réflexion simpliste donnant raison à la moindre expérience personnelle se prévalant scientifique ou au moindre photomontage expliqué grâce à des mots compliqués. Lorsque que le journaliste de la BBC demande à Marilyn Teed, participante à la Flat Earth International Conference, la raison qui l’a convaincue que la Terre était plate, elle répond : « J’ai regardé plus de 50 heures de vidéos. Aussi, je suis allée sur la côte dans le New Jersey et j’ai fait mon propre test : j’ai suivi l’horizon du regard d’un point à un autre et … c’est plat ! ».

Preuve que chez certains, pour qui une note d’un blog réduit des siècles de recherche et d’explorations périlleuses au rang de « fake news », l’encéphalogramme est aussi plat que la surface terrestre.