Loin des relations aseptisées entre un psychothérapeute et son patient dans le cadre d’une consultation classique, une nouvelle forme de soin des maux psychiques se fait peu à peu une place dans le monde médical, en plaçant le patient au centre d’un processus créatif. Bousculant les sphères de la psychothérapie et de l’art, l’art-thérapie intrigue et convainc. Focus sur ce nouveau concept.
Les origines de l’art-thérapie sont multiples. Ses bienfaits sont connus depuis l’Antiquité, mais on attribue ses prémices au Marquis de Sade qui, au début du XIXème siècle, s’occupe de la mise en scène de pièces incluant aussi bien des malades que des soignants et des acteurs professionnels à l’asile de Charenton, dans le Val-de-Marne. Un siècle plus tard, le peintre français Jean Duffubet commence à s’intéresser aux travaux et expositions de deux docteurs allemands, notamment Hans Prinzhorn, qui créera un Musée d’art pathologique à Heidelberg, regroupant les œuvres de ses patients atteints de maladies mentales. L’art des fous, des marginaux et des psychotiques, donne ainsi naissance à ce que Dubuffet baptisera « l’art brut ».
La guérison par la création
Depuis, la recherche de la guérison a fait franchir un palier à ce qui n’était au départ qu’une curiosité. Il n’est désormais plus question de simplement exposer les œuvres, mais de soigner. L’art devient un moyen thérapeutique, alliant la création et la psychologie conventionnelle, faisant ainsi passer la guérison autrement que par la simple parole directe et parfois complexe à libérer.
Comme l’explique Jean-Pierre Klein, directeur de l’INECAT (Institut National d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie), première école à délivrer des titres professionnels de « médiateur artistique » et d’« art-thérapeute » reconnus : « Le but est de partir, dans le cadre d’un processus créatif, de ses douleurs, de ses violences, de ses contradictions pour en faire le matériau d’un cheminement personnel. Du pire naît ainsi une construction, une production qui tend vers l’art ».
Néanmoins, bien qu’aujourd’hui il soit possible d’obtenir un doctorat dans cette spécialité, l’acceptation de l’art thérapie en France et au Luxembourg mit bien plus de temps que dans les pays britanniques. La Croix-Rouge anglaise s’y intéressa et l’utilisa sur ses patients, notamment après l’expérience réalisée par le peintre Adam Hill en 1940. Atteint de tuberculose et placé en sanatorium, il étonna ses médecins en étant rétabli bien plus vite que prévu grâce à ses égarements sur papier, déclarant ainsi : « Lorsqu’il est satisfait, l’esprit créateur […] favorisera la guérison au cœur du malade ».
Alors, à qui s’adresse l’art-thérapie ? Sont exclus d’office ceux pour qui l’art est un talent ou souhaitant prouver à tout prix leur sensibilité par le dessin, comme le dernier livre d’Eric Cantona édité chez Flammarion, intitulé « Mon Carnet », composé de dessins simplistes et justement dézingué par la critique. L’art-thérapie doit être, au-delà d’un terrain de jeu, un terrain d’expression pour le patient. A contrario de l’art, où l’on recherche le beau, l’art-thérapie recherche le vrai et rassemble un panel de patients aux différents maux, tant le concept est universel. L’important étant la démarche d’introspection pour exprimer ses sentiments les plus refoulés, enfants et adultes ayant du mal à plonger dans leur for intérieur sont concernés.
Ainsi, sur plusieurs séances, l’art-thérapeute tente de développer la créativité du patient étape par étape, pouvant se heurter dès le départ à un individu. Comme l’explique Ariane Walker, art-thérapeute et artiste-peintre : « le premier rôle de l’art-thérapeute est de favoriser la créativité chez le patient qui, face à la feuille blanche, commence souvent par dire qu’il ne sait pas dessiner. J’explique donc qu’il s’agit, avec les pinceaux et les tubes de couleur, de se laisser aller, de laisser faire sa main sans mobiliser son cerveau ».
Les arts-thérapeutes disposent ainsi d’autant de stratagèmes pour éveiller l’audace que d’arts différents, avec chacun leurs caractéristiques. Alors que les arts plastiques provoquent une prise de conscience à travers le dessin et la parole associée, le théâtre est plutôt vu comme un exutoire et un moyen de dédramatiser. Au patient alors de trouver l’art juste, qui lui permettra de s’exprimer pleinement, comme l’explique Jean-Pierre Klein : « L’art-thérapie ne doit se mouvoir ni dans la trop grande facilité ni dans l’expression taboue ».
Une nouvelle communication
L’art-thérapie est également une aide bénéfique pour les personnes âgées. Qu’elles soient atteintes ou non d’Alzheimer, l’art leur permet une rétrospection et une reconstruction de leur passé par la peinture ou le modelage. Dans le court métrage « L’art-thérapie, du visible à l’intime », Magali Guichardon, alors médecin coordinateur de la résidence du Val de Bièvres, explique que cette thérapie originale permet de « communiquer autrement » avec les patients atteints d’Alzheimer ayant du mal à s’exprimer. Alors qu’un simple dialogue pourrait être difficile et inciterait le patient à se renfermer, il garde dans le cadre d’une activité créative une capacité à s’exprimer, même dans le cas d’une pathologie lourde.
Ainsi, sur les quinze dernières années, le corps médical a changé sa façon de voir l’art-thérapie, grâce à différentes actions. Laurence Bosi, art-thérapeute et fondatrice de Médecins de l’Imaginaire, explique ainsi que le but de son association est de sensibiliser aux bienfaits de l’art thérapie en cancérologie. S’appuyant sur une étude art-thérapeutique de la Drexel University, qui estime que 75% des participants ont vu leur taux de cortisol, et donc de stress, baisser durant les activités, elle explique le côté relaxant et plaisant d’aller à la découverte de soi-même à travers un processus ludique, là où l’interaction froide et aseptisée avec un psychologue pourrait rendre le processus moins supportable. Ainsi, en cancérologie, l’art-thérapie est, selon elle, un véritable apport de vitalité, d’énergie de vie, facilitant la communication avec autrui, que ce soit le cercle familial ou les professionnels de santé.
L’art a donc, avec un pinceau au bout du doigt, de la terre glaise au bout des mains ou un texte de chant tenu à bout de bras, des vertus thérapeutiques aujourd’hui de plus en plus étudiées et acceptées au sein du corps médical. Le Centre Hospitalier Neuropsychiatrique d’Ettelbrück propose par exemple des ateliers artistiques collectifs ou individuels, permettant à chacun de dessiner les contours de ses émotions les plus enfouies, afin de mettre des mots sur les maux.