Le 17 décembre prochain, Isabelle Collet participera à la première IT Ladies Night organisée au Luxembourg. Professeure Associée à l’Université de Genève, elle se préoccupe de l’inclusion des femmes et des publics minoritaires dans le numérique. Pour BEAST, elle revient sur ces inégalités et présente quelques-unes des meilleures pratiques visant à augmenter la part de femmes dans les métiers tech. Elle est également l’auteure de l’ouvrage « Les oubliées du numériques ».

Lorsqu’elle a débuté sa carrière dans le secteur IT, au début des années 90, Isabelle Collet avoue ne pas avoir noté de réelle différence entre la place des femmes et des hommes : « je pensais alors que l’égalité des sexes était acquise et qu’il était au goût de chacun de s’orienter vers les filiales souhaitées. De plus, les femmes représentaient environ un quart des effectifs : l’écart n’était pas aussi criant que maintenant… ». Ce n’est que quelques années plus tard, lorsqu’elle était à la recherche d’un poste en CDI, qu’elle a commencé à se rendre compte du phénomène. Elle ajoute : « cependant, je n’avais pas de grille d’analyse, juste ma propre observation. Je me suis notamment posée la question de mes compétences… et ai fini par reprendre mes études à l’Université Paris-Nanterre. J’y ai suivi un cours sur les rapports sociaux, un cours de genre. Le sujet m’intriguait beaucoup ».

De la masculinisation de l’IT…

Isabelle Collet a présenté sa thèse en 2000. Elle y annonçait déjà que la situation des femmes dans l’IT allait s’aggraver. Comme elle le souligne, la chute a débuté durant les années 80 : cela s’explique par plusieurs phénomènes et notamment par l’augmentation du prestige des métiers de l’IT. « Lorsque celui-ci explose, le champ du savoir prend de l’importance puis se masculinise. De plus, la transformation structurelle, avec le passage du gros système informatique aux micro-ordinateurs, coïncidant avec son arrivée dans les foyers, a également joué. En effet, les garçons sont généralement équipés en premier et nous créons donc des micro sociétés ! » commente l’experte. Nous avons donc assisté à un changement de représentation qui touche le quotidien des garçons et des filles, mais également des parents et des professeurs. Puis, les discours institutionnels tels que « l’informatique c’est l’avenir, il faut former, et surtout les jeunes garçons », combinés à cette montée en prestige de l’IT, ont créé cette chute libre du nombre de femmes dans l’informatique. Aujourd’hui, les chiffres sont cependant délicats à analyser : en Europe, on recense environ 30% de femmes évoluant dans le secteur, mais les trois quarts d’entre elles occupent des métiers de support – marketing, communication, RH, etc. Il n’y a donc que très peu de codeuses. « En France, elles sont environ 20%, et lorsque l’on s’intéresse aux domaines spécialisés tels que le big data ou la cybersécurité, elles ne sont que 11%. Puis, selon la hiérarchie, la part des femmes est encore différente. Enfin, toujours dans l’Hexagone, il n’y a que 7% des startups tech qui sont créées par des femmes, » précise Isabelle Collet.

…à sa promotion auprès des femmes

Dès lors, est-il nécessaire de commencer à s’intéresser à la tech et à l’informatique dès le plus jeune âge ? Pas nécessairement selon la professeure, qui rappelle l’existence de nombreux instituts de formation ayant pris d’importantes mesures pour transformer leur population, alors qu’ils s’adressent à des adultes. Elle ajoute : « Nous pouvons donc agir à tout âge. Mais évidemment, c’est très bien de donner un premier goût à l’IT aux filles dès l’école. Aujourd’hui, il a encore trop peu de représentations de la discipline, d’où l’importance, par exemple, d’apprendre le code à l’école ». Cependant, il est difficile de mesurer l’impact des initiatives allant dans ce sens et qui sont aujourd’hui introduites dans les établissements scolaires : celles-ci porteront leurs fruits d’ici une dizaine d’années. Heureusement, il existe d’ores-et-déjà des pratiques qui permettent d’augmenter rapidement le nombre de femmes dans l’IT : « je pense à plusieurs instituts de formation qui ont mis en place des mesures volontaristes comme par exemple la possibilité de se former dans un centre de formation non-mixte à Bruxelles, et destiné à des femmes en rupture d’emploi, en reconversion, et peu diplômées. Le fait que cette promotion soit non-mixte est rassurant, ces femmes peuvent alors se dire qu’elles sont toutes au même niveau. Cela date des années 2000. Actuellement, dans les grandes écoles du numériques en France sont organisées des séances d’informations/recrutement non-mixtes : les femmes se retrouvent entre elles et s’aperçoivent qu’elles sont plusieurs à être intéressées par une telle carrière. Les cours seront quant à eux mixtes ». Isabelle Collet insiste aussi sur une solution certes plus coûteuse mais plus satisfaisante intellectuellement : l’université Carnegie Mellon, aux Etats- Unis, a totalement repensé son mode de recrutement, avec des critères d’admission moins axés sur la tech, une population enseignante plus mixte et l’introduction de cours sur le genre pour souligner ces inégalités. L’université frôle aujourd’hui la parité et a atteint les 45% de femmes. « Bien sûr, faire la promotion du code, présenter des role models aux filles, organiser des concours les mettant en avant, etc., restent des mesures importantes, mais elles sont plus faciles à mettre en place. En effet, il est moins difficile d’agir sur les jeunes filles que de demander à un employeur ou à une institution de se repenser complètement et, en quelques sortes, de faire son auto-critique, » explique la professeure. L’UE finance quant à elle une recherche sur la place des femmes dans l’IT depuis les années 2000 : elle comprend le phénomène et analyse les bonnes (et mauvaises pratiques).

Isabelle Collet préside également l’ARGEF, une association se penchant sur la recherche sur le genre en éducation et formation. Celle-ci réunit les sociologues et chercheurs en genre, qui partagent leurs travaux, et s’intéressent à d’autres secteurs que l’IT également touchés par de tels déséquilibres hommes-femmes. « Ce phénomène existe dans plusieurs autres domaines, mais nous n’en entendons que très peu parler car les enjeux économiques sont moins importants. C’est le cas du service à la personne, notamment, où il manque beaucoup d’hommes, et plus généralement de personnel diplômé. Dans la boucherie, c’est le cas inverse, avec une représentation quasiment exclusivement masculine. Quant à l’enseignement petite enfance, il est composé en grande majorité de femmes. Cependant, comme le prestige n’est pas le même, et que les salaires ne sont pas aussi élevés, il est compliqué de tenir le discours inverse à destination des garçons. Ainsi, on note qu’il est plus facile de vendre l’informatique aux femmes, que les services à la personne aux hommes ! » ajoute l’experte. Aujourd’hui, grâce aux initiatives lancées il y a quelques années, on observe que la part de femmes augmente de façon considérable dans certaines formations informatiques. « Désormais, il faut soutenir ces initiatives : il ne suffit pas de faire des efforts pendant quelques années, car le système peut rapidement revenir à son état initial, » prévient Isabelle Collet.