De passage au Luxembourg, et plus particulièrement à ICT Spring, l’événement tech et web faisant la part belle aux nouvelles technologies et notamment à l’Intelligence Artificielle, Luc Julia a accordé de son temps à BEAST. Le créateur de Siri, aujourd’hui Vice President of Innovation, Strategy & Innovation Center au sein de Samsung Electronics, est aussi l’auteur du bestseller « L’Intelligence Artificielle n’existe pas ». Alors, qu’en est-il de ce qu’on appelle vulgairement l’IA et de son impact sur les sociétés et dans la vie quotidienne ?

« Cette fameuse intelligence artificielle dont nous entendons parler dans tous les médias aux quatre coins du monde n’existe pas, tout simplement. Il est facile de dire que les métiers vont se transformer, voire être remplacés. Nous sommes dans le sensationnel… mais cette Intelligence Artificielle qu’on ne contrôlerait pas et qui prendrait le dessus n’existe pas. L’humain reste en contrôle, » débute Luc Julia, répondant au soit disant avènement de l’IA qui se traduit parfois même par la peur des collaborateurs. Pour l’expert, tout ce qui provient des applications d’IA ou Machine Learning résulte des données, informations et règles ajoutées par l’Humain : « Nous sommes bien loin d’Hollywood et des films de science-fiction produits depuis les années 80. Les technologies que l’on utilise aujourd’hui, et qui en sont encore à leurs balbutiements, suivent simplement les règles des années précédentes. Artificial Intelligence, Machine Learning ou encore Deep Learning apprennent sur une quantité massive de données ». Il précise ainsi qu’il ne s’agit que d’une reconnaissance de data, ne faisant preuve d’aucune inventivité ou esprit créatif : les robots et machines suivent les règles définies et apprennent d’exemples concrets. En d’autres termes, l’Humain, via les données qu’il génère et les règles qu’il met en place mais aussi par ses comportements, nourrit ce qu’on appelle vulgairement l’IA.

Quelle IA pour reproduire la créativité de l’humain ?

Contrairement à de nombreux acteurs du secteur et experts en nouvelles technologies, le créateur de Siri ne distingue pas les IA faible et forte. Selon Luc Julia, cette dernière n’a pas lieu d’être : « Aujourd’hui, les scientifiques ne connaissent et ne comprennent que 20 à 40% de notre cerveau, il est dès lors impossible de répliquer un humain, et donc de créer ce que certains désignent comme une intelligence artificielle forte, ou même une intelligence indépendante quelle qu’elle soit ». De manière très simple et directe, Luc Julia décrit l’intelligence en un seul et unique terme : innovation. « Il s’agit de créer quelque chose qui n’existe pas, de casser les règles, ce que ces intelligences artificielles ne seront jamais en mesure de faire ! Du moins, pas avec les méthodes et techniques actuelles, se basant sur les maths et les statistiques. Nous pourrons potentiellement en rediscuter lorsque la biophysique et la biologie seront intégrées au processus et concept dit d’intelligence artificielle, afin d’imiter le cerveau humain et de répliquer ses capacités de création, » poursuit l’expert. A l’heure actuelle, il s’interroge sur le comportement d’un véhicule autonome au rondpoint de l’Etoile à Paris, où les règles de conduite ne sont qu’illusion et à l’approche duquel chaque conducteur doit prendre une décision, des initiatives – voire des risques – afin de circuler. Pour Luc Julia, une voiture autonome de niveau 5 n’y parviendrait pas, car il est impossible d’imaginer tous les scénarios possibles, trop de véhicules et d’autres paramètres entrant en compte.

Luc Julia reconnait la puissance des applications d’IA et leurs avantages dans de nombreux secteurs et notamment dans les transports. Une voiture autonome de niveau 3 ou 4 pourra permettre de transporter leurs utilisateurs le long de routes classiques. Ces solutions confèrent plusieurs avantages, entre la réduction de stress et la possibilité de maximiser la valeur du temps passé dans son véhicule. Des challenges importants se dressent encore face à ces « services », avec en tête le développement de Smart Cities accompagnées d’un réseau routier totalement redesigné. C’est aussi le cas de la médecine, avec toute la multitude de données et d’informations pouvant être extraites du corps du patient. « L’IA que je défends et qui se base sur les mathématiques, permettra la génération de statistiques intéressantes et clés dans le traitement de maladies, et même dans la prévention de celles-ci. On retrouve d’ores-et-déjà des banques de données concernant les cancers du sein, on utilise les données d’imagerie, etc, » ajoute Luc Julia. Il poursuit : « l’analyse de telles données permettra aux médecins, tout aussi bons qu’ils soient, de détecter plus rapidement des maladies ou futurs symptômes ».

Il évoque également les « gadgets » de la vie de tous les jours, avec des objets – et notamment les smartphones – qui assistent leurs utilisateurs et facilitent leur quotidien. Pour Luc Julia qui vit dans une maison intelligente depuis près de 20 ans, il est aujourd’hui inconcevable de descendre manuellement les stores et volets à son domicile… Ces applications, entre Big Data, Intelligence Artificielle et Internet des Objets représentent aujourd’hui un gain de temps considérable et pourraient, ironiquement, favoriser les interactions sociales.

Intégrer l’Intelligence Artificielle à ses process

Dans le cadre du développement et de l’utilisation de tels services, Luc Julia préconise le concept de « Smart Data » plutôt que celui de «Big Data». « Mathématiques et statistiques requièrent beaucoup d’énergie. Les données sont centralisées dans des datacentres qui doivent être refroidis et consomment énormément. En résumé, une énergie démente est nécessaire… Il s’agit d’une aberration technologique. Dès lors, dans cette tentative d’imiter le cerveau humain, essayons d’utiliser moins de données, pour remplacer le Big Data par un Small Data qui serait moins énergivore, » explique l’expert tech.

Luc Julia, dans l’approche de ces nouvelles technologies, conseille de se rapprocher de véritables experts dans les domaines concernés, avec des professionnels maîtrisant ces innovations et comprenant le métier et le secteur dans lequel évolue le client. Il ajoute : « Puis, il est nécessaire de recruter un Data Science au sein même des équipes : les données, les chiffres et leurs analyses ne mentent pas. Ils pourront alors modéliser les concepts, qui pourront à ce moment être transcrits dans un algorithme par des développeurs. Il faut également garder en tête que l’IA ne va pas transformer le métier, mais qu’elle vise aujourd’hui à assister et à améliorer les performances et l’efficacité ». Quant à la communication auprès des équipes – et postures – à adopter dans l’intégration de ces nouvelles technologies, Luc Julia préconise un dialogue franc sur l’évolution probable des tâches : « les collaborateurs ne vont pas être remplacés, il est important de le leur rappeler. La transformation de certaines tâches redondantes et répétitives donnera l’opportunité d’ajouter une nouvelle valeur au(x) service(s) ». Rappelons également que 85% des métiers de 2035 n’existent pas à l’heure actuelle et que par le passé, plusieurs industries, notamment en Allemagne, en prenant le pari de la robotisation (de certaines tâches), ont pu conserver les places de leaders avec une forte création d’emplois et un taux de chômage faible, quand d’autres n’ont que très peu agi, pour aujourd’hui se retrouver à la traîne…